Nouveaux gTLD comme .bzh et .paris : plus de choix, plus d'innovations

Le 10 mai, 2 projets phares du programme des nouveaux domaines de 1er niveau - les "nouveaux gTLD" - ont obtenu le feu vert sur leurs dossiers de candidature. Ces projets français, le .bzh porté par www.bzh, avec le soutien du Conseil Régional de Bretagne, et le .paris, dont la candidature est portée par la Ville de Paris sont des pionniers. Il faut se féliciter qu'ils aient enfin eu cet accord.

 

(publié à l'origine sur Le Cercle des Echos : http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2013/05/15/cercle_72413.htm)

On peut se demander ce qui a conduit l'Icann, puis ces candidats, à lancer puis à participer au programme des nouveaux gTLD. Pour moi qui travaille dans le secteur des noms de domaine depuis huit ans, la réponse est évidente : ce programme est la réponse à une expérience que je vis au quotidien.

En effet, quiconque travaille dans le secteur des noms de domaine est confronté dans sa vie sociale à deux problèmes fondamentaux : le premier, c'est qu'il doit répondre en moins de 15 secondes à la question "c'est quoi ton boulot ?". Expérience douloureuse, pénible, car dès le terme nom de domaine prononcé, le regard de l'interlocuteur devient vague, son attention vacille. Et lorsque vous avez enfin réussi à vous expliquer - "mais oui tu sais, les adresses Internet en .fr là..." - et à obtenir un "ha oui" peu convaincu, arrive la seconde difficulté. Immanquablement, votre interlocuteur enchaîne sur un "maintenant que tu le dis, j'ai un problème car le nom de domaine que je voulais est déjà pris, comment je peux le récupérer ?".

Les noms de domaine aujourd'hui, c'est encore trop souvent synonyme de ces souhaits contrariés, de cette rareté, particulièrement sensible en .com. La population la plus exposée à cette difficulté est celle des entrepreneurs. Au moment de créer son entreprise, le nom de celle-ci, si original, si approprié au projet, si fantasmé pendant des semaines, des mois ou des années est déjà pris. Ce qui amène à des décisions douloureuses ou à des démarches de rachat souvent non moins douloureuses. Le sens originel du programme des nouveaux gTLD est là : offrir un choix plus large, plus pertinent aussi parfois, à l'entrepreneur pour la création de son entreprise. Le tout dans le contexte de rapide croissance de l'Internet que nous connaissons bien : selon l'Union Internationale des Télécommunications, en 2015 le nombre de personnes connectées dans le monde devrait doubler, pour atteindre 75% de la population mondiale.

Mais l'intérêt du programme ne s'arrête pas là. Les nouveaux domaines présentent aussi l'opportunité de nouveaux services. Dans le cadre classique de l'usage du nom de domaine pour un site Internet, espérons que des services comme taxi.paris, plages.bzh ou monboulanger.paris sauront offrir à leurs visiteurs un véritable service additionnel, tirant profit du caractère spécifique de leur nom de domaine.

Plus loin encore, inverser la logique de rareté des noms de domaine permet d'espérer que cet identifiant trouve de nouveaux débouchés. Ses propriétés sont en effet remarquables :
- il est unique, il ne peut y avoir qu'un seul www.bzh
- il est mémorisable, ce qui fait qu'on peut l'utiliser sur un support de communication, en ligne ou sur un 4x3
- il est interopérable, fonctionne de partout dans le monde
- sa gestion est distribuée auprès de nombreux acteurs, largement indépendants des grands industriels de l'Internet.

Comme le disait récemment Paul Mockapetris, son inventeur, le DNS a 30 ans, nous l'utilisons chaque jour, et nous ne le connaissons pas (http://www.huffingtonpost.com/paul-mockapetris/dns-what-celebrating-30-y_b_3211030.html).

Remplacera-t-il un jour les QR Codes, autres identifiants répandus, si on peut utiliser sur l'affiche ou le produit un nom de domaine, court et mémorisable ?
Les éditeurs de service continueront-ils à passer sous les fourches caudines des éditeurs de Store comme Apple ou Google et à croiser les doigts pour que l'utilisateur mobile veuille bien la télécharger ou, sauf pour quelques grands  services, proposeront-ils directement une application joignable par un nom de domaine simple, multi-plateforme et sans dépendance vis à vis des "GAFA" (Google, Apple, Facebook, Amazon) ?
Identifierons nous et communiquerons nous avec les 6 milliards et demi d'appareils IP prévus par la société Bosch Software Innovations pour 2015 par le biais de noms de domaine ou de systèmes dérivés, comme ceux conduits par l'Afnic et GS1 France sur l'Object Naming System (ONS) (http://www.afnic.fr/fr/l-afnic-en-bref/actualites/actualites-generales/6702/show/internet-des-objets-gs1-france-et-l-afnic-principaux-contributeurs-a-l-ons-2-0.html) ?

Le système des noms de domaine est un outil formidable, qui recèle encore un grand potentiel de développement. Réaliser ce potentiel est une des ambitions du programme des nouveaux gTLD. C'est aussi bien sûr l'objectif de l'Afnic, qui accompagne 17 projets de nouveaux gTLD, dont le .paris et le .bzh.

Bien sûr, il y a d'autres options, de la concurrence technologique et d'usage, de nombreux défis. Quel projet peut se targuer de la certitude d'innover ?

Ainsi certaines réactions à ces annonces ont soulevé des interrogations quant au but poursuivi, au sens de ce programme des nouveaux gTLD, et interpellé les collectivités publiques porteuses de ces projets. Les auteurs de ces interpellations sont souvent des personnes que je connais bien et pour lesquelles j'ai beaucoup de respect. Ce débat ne pourra d'ailleurs être tranché que par les faits. Il me semble pourtant que leur réaction est paradoxale. Pour la plupart, ce sont des entrepreneurs, à l'avant-garde de l'innovation. Et le paradoxe est qu'ils semblent justement reprocher aux collectivités concernées d'entreprendre, de prendre des risques en visant le développement de nouveaux services.

Il en va de même pour l'Afnic. Quel sera l'impact des nouveaux gTLD sur le .fr, dont elle a en charge la gestion ? Nous avons la conviction que ces nouveaux domaines, en France, renforceront l'attrait des noms de domaine en général, et bénéficieront par conséquent au .fr. En outre, il est évidemment préférable en terme de retombées économiques pour notre pays notamment que ces projets français soient accompagnés par un acteur comme l'Afnic plutôt que par les entreprises dominantes de ce marché, essentiellement américaines.

On m'objectera que mon point de vue est biaisé. Mais pour ma part, je trouve remarquable que des collectivités françaises se trouvent ainsi aux avant-poste d'une vague de nouveauté sur Internet. Paris précède ainsi Londres, New York, Melbourne, Tokyo. Bzh est un pilier d'un réseau de projets culturels et linguistiques allant du Pays Basque à l'Ecosse en passant par la Galice. Il reste des obstacles importants sur la route de ces projets : concurrence bien sûr, accueil du public, lutte contre le cybersquatting, financement... Souhaitons à ces projets de s'imposer sur la scène de leurs communautés respectives, de contribuer à leurs rayonnements, et surtout, surtout, d'être à leur tour des facilitateurs d'innovations, des creusets pour que les membres de leurs communautés jouent un rôle de premier plan, chacun dans leurs domaines !